La Grande Chambre de recours de l'Office européen des brevets (OEB) a publié récemment la décision R2/19. Bien que guère novatrice, cette décision a souligné une fois de plus qu’il est essentiel que les titulaires de brevets soient correctement préparés lorsqu'ils défendent un brevet au cours d'une procédure post-délivrance.
Dans cet article, nous analysons les leçons spécifiques que les titulaires de brevets peuvent en tirer.
Contexte
Le brevet européen n° 1793994, accordé à Plastic Suppliers, Inc. (le « titulaire du brevet ») le 19 octobre 2011, portait sur des revendications relatives à des feuilles fabriquées à partir de polymères d'acide polylactique (PLA), une matière plastique exploitable qui se dégrade en matériaux non toxiques et présents à l’état naturel. Le brevet a été maintenu sous une forme modifiée à la suite de l'opposition d'Infiana Germany GmbH & Co. KG (« l’opposant »). Cependant, les véritables leçons émanent de l'appel de cette décision (T589/15) déposé par l'opposant (également désigné « l’appelant »), qui a pour résultat la révocation du brevet, et de la requête en révision postérieure déposée par le titulaire du brevet (également désigné « le requérant »).
Deux revendications revêtaient une importance particulière pour la procédure de recours :
- La revendication 1, une revendication de procédé incluant les caractéristiques « dans laquelle le plastifiant est un lactide » et indiquant que la feuille finale « comprend < 10 % de plastifiant », et ;
- la revendication 13 (telle qu'elle a été numérotée après les modifications apportées lors de l'opposition), une revendication de produit obtenu par le procédé de la revendication 1.
Dans la requête principale déposée lors du recours, le titulaire du brevet a demandé le maintien des revendications sous forme modifiée, obtenue à l'issue de l'opposition. Sept autres requêtes auxiliaires ont également été déposées et, dans trois d'entre elles, la revendication 13 figurait au titre de revendication de produit obtenu par un procédé et, dans les quatre autres, la revendication 13 avait été refondue en tant que revendication de produit indépendante, incluant les deux caractéristiques de la revendication 1 mentionnées ci-dessus relatives au plastifiant.
Les arguments soumis par l'opposant ou appelant lors du recours se sont concentrés sur l’absence d'activité inventive de la revendication 13 à la lumière d'un document antérieur relatif à l’état de la technique, « G3 », lequel décrivait à la fois des feuilles PLA et de faibles niveaux de plastifiant de seulement 1 %, mais dans des exemples séparés.
À la suite de la révocation du brevet en appel, une requête en révision a été déposée auprès de la Grande Chambre de recours par le propriétaire du brevet ou requérant, alléguant qu'une violation fondamentale du droit d'être entendu en vertu de l'article 113 CBE et qu’un vice de procédure fondamental supplémentaire avaient été commis durant la procédure de recours (en vertu des articles 112a(2)(c) et (d) CBE, respectivement). Seul le premier motif a été invoqué par le titulaire du brevet ou requérant dans la procédure orale postérieure :
« Alors que la Chambre [de recours] avait exprimé son avis préliminaire à l'appui des conclusions de la division d'opposition que le document G3 enseigne concernant la réduction de la quantité de lactides à moins de 10 pour cent comme le revendique la revendication 13 de la requête principale, elle a ensuite décidé que les revendications de toutes les requêtes au dossier manquaient d'activité inventive par rapport aux exemples 34 à 39 du document G3 parce qu'il n'y avait aucune preuve indiquant qu'il n'était pas possible de fabriquer une feuille soufflée utilisant moins de 10 pour cent de lactide comme plastifiant. Toutefois, si l’appelant-opposant ou la Chambre avait un problème à ce sujet, ils auraient dû le soulever en temps utile pour permettre au requérant de se défendre correctement. Ne pas le faire a constitué une violation fondamentale du droit du requérant à être entendu en vertu de l'article 113(1) CBE ».
En d'autres termes, le titulaire du brevet ou requérant a allégué que son droit à être entendu a été fondamentalement violé dans la procédure de recours car, sans lui en faire part, la Chambre de recours a considéré que l'absence de preuves à l'appui de l'argument du titulaire du brevet ou requérant (que les feuilles soufflées à l’acide polylactique à faible teneur en lactide (10 % ou moins) ne pouvaient pas être fabriquées par la méthode de G3) était une raison pour rejeter ledit argument et, en fin de compte, pour révoquer le brevet.
Après un examen approfondi de l'ensemble des faits et des échanges réalisés pendant le recours, la Grande Chambre de recours a conclu « qu’il ne fait aucun doute que le requérant a eu l'occasion d'exposer ses arguments concernant toutes les questions à propos desquelles la décision en révision a été prise au regard de la pertinence de l'enseignement du document G3 pour l'évaluation de l'activité inventive de l'objet revendiqué » et « qu’il appartenait au requérant de fournir des preuves de la prétendue inadéquation de la méthode du document G3 et que le fait de ne pas le faire pouvait être retenu contre lui ».
Par conséquent, la requête en révision a été rejetée à l'unanimité par la Grande Chambre de recours comme étant clairement non recevable. Le brevet reste donc révoqué.
Leçons
En tant que titulaire d'un brevet, la première leçon à tirer de l'affaire R2/19 est qu'il faut se garder d'accorder trop de poids aux conclusions provisoires formulées dans un avis préliminaire d'opposition ou de recours. Il a été décidé, à l'issue du recours, que la revendication 13, de produit par procédé, n'était pas inventive par rapport à G3, malgré la décision positive (contraire) dans l’acte d'opposition et une opinion positive similaire exprimée dans l'avis préliminaire en recours. Afin de tenter d'éviter la révocation du brevet, le titulaire du brevet a plaidé en faveur de l'inventivité de la revendication 13, mais ces arguments n'ont été présentés pour la première fois qu’à l'audience. Une nouvelle requête auxiliaire supprimant la revendication 13 a également été soumise au cours de l'audience de recours, comme dernière tentative pour maintenir le brevet, mais elle a été jugée tardive et donc irrecevable.
Par conséquent, la revendication 13 dans la requête principale et dans toutes les requêtes auxiliaires admises a été jugée dépourvue d'activité inventive. Le titulaire du brevet aurait pu obtenir un résultat différent s’il avait soumis tous ses arguments et ses éventuelles requêtes auxiliaires avant l'audience de recours.
À la suite du recours, lors de la requête en révision, le titulaire du brevet a fait valoir qu'il n'avait pas eu l'occasion de se défendre et qu'il n'avait pas préparé de preuves à l'appui de ses arguments concernant l'activité inventive pour la revendication 13 parce qu'il ne savait pas qu'il aurait à le faire. Les deux parties devraient garder à l’esprit que, lorsqu'elles avancent des arguments revendiquant que certaines déclarations sont vraies, notamment au cours de la procédure post-délivrance, elles devraient toujours envisager de soumettre des preuves à l'appui, et le faire, lorsque c’est possible. Dans cette affaire, le titulaire du brevet avait fait valoir qu'un procédé décrit dans G3 n'aurait pas été adapté pour fabriquer une feuille plastique conformément à la revendication 13. Toutefois, la demande de brevet telle qu'elle a été déposée ne contenait aucune preuve à l'appui de cet argument, et aucune autre n'a été présentée à quelque stade que ce soit de la procédure post-délivrance.
La décision R2/19 nous enseigne que, ni le fait de ne pas être préparé lors d'un recours dont on attend qu'il soit favorable, ni le fait de ne pas étayer suffisamment les arguments par des preuves ne seraient considérés comme un manquement au droit d'être entendu.
Le troisième enseignement de la décision R2/19 est qu'une partie à la procédure devrait vérifier soigneusement le texte d'une décision de l'OEB. Si la décision écrite contient des incohérences ou ne reflète pas exactement les conclusions de l'audience, il faut être prêt à y faire objection. Dans l'affaire R2/19, le fait que le titulaire n'ait pas contesté un paragraphe de la décision de recours qui contredisait ses arguments a finalement été retenu contre lui.
Enfin, cette affaire devrait servir de rappel quant aux risques encourus lorsqu'on se repose sur des soumissions tardives. Ce n’est pas au moment d’une audience de recours qu’il faut déposer pour la première fois des objections ! Si le titulaire du brevet avait essayé de faire valoir uniquement les revendications de procédé (sur la base de la revendication 1), y compris en tant que dernière requête auxiliaire, il est fort probable qu’il serait encore en possession d'un brevet délivré.